Connaître les sources d’une œuvre et ce qui a motivé sa création est intéressant pour la comprendre. Pour My Fair Lady (), cette analyse est particulièrement fascinante, car rares sont les chemins d'écritures aussi sinueux.
Pour la plupart d’entre vous, la comédie musicale My Fair Lady () a été directement adaptée de Pygmalion, le chef-d’œuvre de George Bernard Shaw. C'est à la fois vrai et pas… En fait, on peut dire que Shaw a toujours refusé que ses oeuvres soient adaptées en muiscal. Pygmalion, comme toutes les autres.
Mais, comme au théâtre, commençons par le commencement.
A) Shaw refuse les 'musicals'
Shaw refusera toujours que ses œuvres soient adaptées en musicals, particulièrement, l'une de ses préférées, Pygmalion. Pourquoi? Sa première expérience fut une déception...
A.1) 1908 – Der tapfere Soldat
En 1908, Shaw donne le droit d’adapter sa pièce de théâtre Arms and the Man (1894) à Léopold Jacobson en opérette sur une musique d'Oscar Straus. Le résultat est Der Tapfere Soldat (The Chocolate Soldier).
Shaw imposa trois conditions:
- ne pas utiliser les dialogues de la pièce et les noms des personnages originaux
- présenter le livret comme une parodie de la pièce
- ne personnellement recevoir aucune compensation financière
Même si l'intrigue originale de Shaw, et avec elle le message central de la pièce, est restée relativement inchangée, il a totalement méprisé l'adaptation que Shaw a qualifiée d' «opéra-bouffe putride, dans le pire goût de 1860».
Il aurait pu regretter d’avoir renoncé aux droits d’auteur, car, malgré son opinion, l’opérette devint un succès international très lucratif.
Mais l’argent n’était pas sa motivation première… À ce sujet, il a déclaré: «Rien ne m'incitera jamais à permettre à aucune autre de mes pièces d'être dégradée en une opérette ou mise en musique, sauf la sienne». Comment être plus clair!
A.2) 1921 – Franz Lehár
En 1921, Franz Lehár songe à adapter Pygmalion en opérette et fait une demande dans ce sens à Shaw... La réponse fut claire. Il fit référence au travail de Straus et déclara: «Une opérette Pygmalion est tout à fait hors de question. (...) Pygmalion est ma source de revenus la plus stable: il m'a sauvé de la ruine pendant la guerre, et apporte toujours un revenu substantiel chaque semaine. Il est hors de question de permettre à un opéra-comique de le supplanter.» Mais, pour être honnête, la raison profonde ne semble pas être uniquement financière, loin de là…
A.3) 1948 – Prentice & Gertrude Lawrence
En 1948, c’est E. A. Prentice, un soldat de la RAF (Royal Air Force) qui fait sa demande. Shaw l'envoie sur les roses, interdisant «un tel outrage» ajoutant même: «Si Pygmalion n'est pas assez bon pour vos amis avec la musique propre des mots, leur talent doit être extraordinaire.» Pour assouvir ledit talent, il leur suggéra de s'attaquer plutôt à Così fan tutte de Mozart ou La Grande-Duchesse de Gérolstein d'Offenbach.
Gertrude Lawrence – qui avait triomphé dans la pièce Pygmalion où elle jouait Eliza Doolittle – approcha Shaw avec une demande sans doute plus «sérieuse» en vue d'une adaptation en musical, avec rien de moins que Noël Coward pour compositeur. Mais là encore, Shaw a estimé que c'était un «non-sens absolu». Cette fois, c’est totalement non négociable. Shaw ne cédera jamais.
Et pourtant, pour cette demande on avait: Gertrude Lawrence, une star pour jouer Eliza, et Noël Coward, un compositeur renommé, et c’est toujours… NON!
Mais pourquoi Shaw refuse-t-il?
D’autant qu'en 1938, il accepte que Gabriel Pascal tourne un film tiré de Pygmalion. Il semble que cela ne soit ni une question d'argent ni la crainte de laisser transformer son œuvre. Mais plutôt une réelle aversion pour la musique quelle que soit la notoriété de ceux qui se proposaient pour la composer.
My Fair Lady () est pourtant considérée, et à juste titre, comme une adaptation à la scène de Pygmalion, comment est-ce possible?
La réponse est très simple...
George Bernard Shaw meurt le 2 novembre 1950, à l'âge de 94 ans. Et la mort de ce monument anglais du théâtre va tout rendre possible quant à l'avenir de ses oeuvres.
My Fair Lady () va largement, très largement même, s'inspirer de deux versions de Pygmalion: la pièce de théâtre de 1913 et le film de 1938. Avant d'encore subir de nombreuses modifications lors de répétitions.
Une autre histoire très complexe...